Je m’excuse en permanence.
Je m’excuse quand je fais quelque chose qui — selon moi — mérite que je m’excuse : je marche dans la rue et je boucle quelqu’un, j’ai le hoquet, j’éternue, je mets mon doigt plein de coco sur le téléphone de ma copine, je fais du bruit soudainement sans le vouloir en lâchant un verre, j’éclabousse quelqu’un dans l’eau… Mais je m’excuse aussi, et surtout, quand je ne fais rien qui soit — selon moi — ma faute, et que je trouve sincèrement, ou que je sais, que je n’y suis pour rien : quand quelqu’un marche dans la rue et me bouscule, quand je sursaute parce que quelqu’un fait du bruit soudainement sans le vouloir, quand mes plans changent parce que emirates ne me laisse pas embarquer dans mon vol pour l’Europe, parce qu’il pleut et que je ne peux pas trouver de grab pour aller à un dej à Bali, quand j’ai une minute de retard à un call auquel la personne se pointera vingt minutes plus tard.
J’ai été formatée à m’excuser, en permanence. Et j’ai épousé un mec qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Quand il est en tort, il s’excuse, mais quand ce n’est pas le cas, zéro chance de l’entendre dire qu’il est désolé alors qu’il estime que ce n’est pas le cas. Et quand je m’excuse alors que je ne devrais pas, il me regarde en fronçant le sourcil :
— Why do you apologize?
Et la plupart du temps, j’ai du mal à répondre quelque chose qui tienne la route.
La peur de déranger
J’ai été éduquée dans la considération de l’autre. On marchait doucement sur le parquet en bois dans nos appartements de vacances pour ne pas réveiller les autres, la musique n’était pas trop forte après une certaine heure, on ne s’asseyait pas sur le fauteuil parce que le chat aimait bien s’y mettre (!). Depuis petite, je fais attention au bien-être de ceux qui m’entourent.
Mais à force de faire attention au bien-être des autres, j’ai souvent tendance à ne pas faire attention à ce dont j’ai envie, moi. Certainement pas de hurler à 3h du mat’ alors que tout le monde dort, mais plus certainement l’envie de me mettre au soleil mais ne pas le faire pour ne pas bouger mon transat qui pourrait éventuellement faire trop de bruit. Ne pas aller aux toilettes parce que je pourrais avoir deux minutes de retard sur le bateau. Ne pas me mettre de la crème solaire parce qu’elle est dans mon sac qui nécessite que je demande un coup de main léger à quelqu’un. Je prends toujours en considération les éventuelles dérangements des autres avant de prendre en compte mes envies et besoins à moi.
Résultat : une envie de faire pipi, un côté pâle sur l’omoplate gauche, et brûlé sur l’omoplate droite. Yes.
La peur de ne pas être polie
En plus d’avoir peur de déranger, il y a la peur de ne pas être polie. Faire quelque chose qui engendrerait que l’on se dise que j’ai mal été élevée, ou que je suis rude. Et ça, c’est impensable. Alors pour ne pas que l’on me considère comme impolie, même quand ce n’est pas du tout le cas, je m’excuse, juste au cas où. Et pour éviter les moments flottants pendant lesquels les autres ne sont pas polis, je m’excuse à leur place. Comme ça, même s’ils ne sont pas capables d’être assez bien élevés (selon mes principes) je trouve le moyen de l’être pour eux. Je vais donc remercier le serveur quand il dépose un plat sur la table qui n’est pas le mien, qu’il répond à une question que je n’ai pas posée, ou je vais excuser une amie alors qu’elle ne comptait pas le faire. Insupportable ? Désolée.
Femmes vs hommes
Les femmes s’excusent beaucoup plus que les hommes ; c’est un fait. On essaie de se faire toutes petites, ou l’on a cette irrépressible impression de déranger beaucoup plus fréquemment. Lorsque les hommes vont entrer en réunion d’un pas décidé, les femmes vont tenter de se faire plus petites qu’elles ne le sont déjà pour ne pas perturber quoi ou qui que ce soit. La faute à la société qui s’est forgée autour de l’idée que les femmes n’ont pas leur place là où les hommes l’ont, et malgré une évolution au fil des années, les mauvaises habitudes ont la vie dure.
Syndrome de l’imposteur, sensation de se sentir redevable d’être là où nous sommes, de déranger, de ne pas avoir notre place alors que l’on s’est battues pour, peur de ne pas être perçue comme la petite chose polie que l’on nous a toujours dit d’être, de paraître vulgaire, condescendante… Autant de sujets pour lesquels on a parfois la sensation que l’on se doit de s’excuser.
Mais comme dirait (presque) Justin Bieber : it is not too late to not say sorry.