Dans l’un des derniers articles, je vous parlais du fait de se jeter à l’eau, de prendre les devants et de ne pas y réfléchir à deux fois avant de se lancer. Mais comment ça se passe quand on a peur ?
Je parle de la peur, la vraie. Pas celle qui nous fait un peu hésiter, mais celle qui nous fait nous sentir en danger ? Celle qui nous paralyse, nous empêche de réfléchir et de prendre une décision rationnelle. Celle qui nous fait douter, du moment, de tout, de nous, celle qui nous fait prendre conscience que l’on trouve toujours quelque chose qui nous effraiera quelque part dans le monde.
Laissez-moi vous raconter une histoire.
J’ai fait de la plongée sous-marine pour la première fois. Un truc commun pour certain, quelque chose d’assez spécial pour moi. J’adore l’eau, je suis très souvent dedans, avec une planche de surf ou pas, et j’ai assez de tatouages de mammifères marins pour organiser des croisières. Mais respirer sous l’eau quand on a un poumon qui n’en mène pas large (en mener large, l’eau; tu l’as ?), c’est plus compliqué que cela n’y paraît. Après les quelques infos théoriques, un essai dans une piscine pour apprendre les bases et se familiariser avec le matériel, environ 9938272 tentatives pour me mettre assez de poids sur ma ceinture lestée et me faire tenir sous l’eau (c’est comme ça que j’ai appris que certaines personnes avaient du mal à se lester malgré les poids — surtout ne JAMAIS rien faire comme tout le monde, c’est important), c’est dans le grand bain que ça se passe.
Une fois le matériel porté (environ 20 kilos sur les épaules + 10 kilos à la taille ; toujours agréable pour se déplacer), j’ai donc dû aller dans l’océan pour faire ma première plongée. Et au moment de se lancer, quelques secondes après être immergée, une panique. Mais pas la panique qui fait te poser des questions avec des phrases bien formulées dans ta tête.
— Suis-je certain de vouloir vendre des actions bancaires à des personnes riches et par conséquent les aider à s’enrichir davantage alors que des dizaines de pays et populations se meurent sous mes yeux ? Diantre.
Non, non. La panique qui te fait dire que tu vas mourir, ici, tout de suite, au milieu de l’océan, et que ta dernière tenue ne sera pas celle qui te met le plus à ton avantage. Je suis remontée en faisant signe à l’un des dive masters (surement pas le bon signe vu que dans ta tête c’est plutôt « EYIZIZOZ DHUZ AGGGHHH » que « alors le pouce ça ne veut pas dire « super » mais « on remonte ») et quand il m’a demandée ce qui n’allait pas, j’ai sorti ces quelques mots qui résonnent encore dans ma tête tellement ils m’ont étonné quand je les ai entendus « Je ne crois pas que j’en sois capable ».
Je ne crois pas que j’en sois capable.
Merde.
On fait comment quand la peur prendre le pas sur la confiance ? Quand notre cerveau n’a pas les mots pour motiver notre corps ? Quand notre niveau de peur est bien plus élevé que toutes nos autres jauges qui constituent notre personnalité ?
Mon dive master a ensuite enchaîné sur l’un des meilleurs pep talks que j’ai entendus de ma vie. Il était à lui tout seul un coach de NBA dans un film américain, mon entraîneur de boxe et un mec haut placé dans l’armée dans un film catastrophe. Genre celui qui a toujours les yeux plissés et qui regarde l’horizon avant de sortir une punchline de folie.
— You don’t turn your back on your family. Even when they do.
Ouais je cite Vin Diesel dans Fast&Furious, qu’est-ce que tu vas faire ?
Au début, j’avais envie de lui foutre mon poing dans la face vu que j’ai vite compris que j’allais devoir plonger coûte que coûte. Mais je ne l’ai pas fait. Déjà parce que ça ne se fait pas. Aussi parce que j’étais au milieu de l’océan avec trente kilos de matériel sur les épaules et que clairement s’il y avait l’un de nous deux qui allait s’en sortir ça n’allait pas être moi. Et ensuite parce qu’il faisait environ cent kilos (matériel non inclus) et que mes entraîneurs de boxe m’ont toujours dit de ne pas m’attaquer à plus lourd que moi si l’environnement n’est pas en ma faveur.
Bon okay, et aussi parce qu’il était canon.
On s’est regardés à travers nos masques — moi je ne voyais rien parce qu’évidemment je l’avais mal mis, et que combiné à ma myopie et à la buée qui s’était formée à force de respirer comme une asthmatique, je ne voyais plus grand chose — j’ai réajusté mon masque, j’ai pris la main de mon dive master telle une enfant de 8 ans, et j’ai plongé.
Et croyez-moi les gars, j’étais pas au max de la confiance, mais il était hors de question que je remonte une seconde fois à la surface. Alors j’ai nagé, en regardant ce qu’il se passait autour de moi, le dive master m’a fait un câlin sous l’eau, j’ai eu envie de lui remettre mon poing dans la face parce que j’ai failli perdre mon régulateur d’oxygène au passage, mais j’ai continué de nager et de regarder les poissons, les étoiles de mer, en pensant le moins possible au fait que je n’étais pas dans mon environnement naturel d’humain. Et quand j’ai terminé ma plongée, je suis remontée à la surface, et je me suis laissée flotter en pensant à Sartre. Parce qu’en 2020, on critique beaucoup les gens, on se protège, on bitch pour se sentir accepté dans un groupe, on joue la carte du cynisme pour être perçu comme quelqu’un de cool, mais on ne réalise que trop rarement que l’enfer, ce n’est pas les autres. Et que parfois, sans les autres, on ne pourrait pas aller de l’avant. On ne pourrait pas relever la tête, plonger, réaliser nos erreurs, réaliser qu’on ne devrait pas, que l’on devrait carrément, ou que l’on est capable de faire quelque chose dont on ne se sent pas capable au fond de nous.
Alors J.P. désolée de te contredire, mais selon moi, l’enfer, ce n’est pas (toujours) les autres.