La dernière fois, alors que j’étais dans le train qui allait bientôt démarrer et que je me posais des questions que l’on doit désormais se poser à chaque fois que l’on sort en France en 2020 (Est-ce que j’ai mon masque ? J’ai fait mon attestation ? Il a l’air pas mal le mec là-bas mais ça se trouve il a des dents pas alignées en dessous de son masque ?), j’ai pu observer un couple qui se disait au revoir ; l’un sur le quai, l’autre dans mon train.
La jeune fille était au téléphone avec son cher et tendre, qui visiblement n’était pas du bon côté du quai car elle ne pouvait pas le trouver de visu, et après trois minutes très redondantes d’explications “Avance, avance, avance…avance encore je ne te vois pas. Avance, oui, continue d’avancer”, il finit par trouver la bonne fenêtre.
Alors que j’avais totalement abandonné ma recherche d’écouteurs et que j’écoutais désormais leur conversation, j’ai réalisé que les gens avaient des façons très différentes de se dire au revoir. Ceux-là allaient passer les six minutes qui nous séparaient du départ à se regarder dans le blanc des yeux, à se chuchoter des mots doux et à se dire qu’ils allaient se manquer. Et je trouve ça mignon, mais ça doit être tellement dur de souffrir pendant six minutes. Six minutes où l’on a la tête dans la tristesse et le coeur gros. Moi pour chaque au revoir, qu’il dure un an, deux jours, ou toute la vie, j’ai toujours opté pour la technique Hansaplast, aka la technique du pansement : on tire un coup sec, ça fait un peu mal mais au moins c’est fait et on n’a pas le temps de s’appesantir sur le sujet.
Certains me disent parfois que cela donne l’impression que je m’en fous de dire au revoir à une personne ; mais je vous assure que c’est pourtant tout le contraire. Et voici pourquoi je dis au revoir Hansaplast mode, depuis aussi loin que je me souvienne.
Le souvenir que l’on emporte n’est pas le souvenir de l’au revoir
Quand je dois dire au revoir pour un long moment, je n’ai pas envie de me souvenir de mon estomac noué sur le quai de la gare, d’un appel triste depuis une salle d’embarquement ou d’un visage flou derrière une vitre de métro embuée. Je veux me rappeler du dernier fou rire, des repas partagés quand on était ensemble, de la danse dans le salon sur une chanson des années 80, du gâteau préparé ensemble, du brunch qui a fini à 3h du matin et de la gueule de bois subie le lendemain. Et c’est pareil avec le pansement. Pour chaque cicatrice, je ne veux pas me souvenir du pansement enlevé, mais de la connerie faite qui m’a value cette cicatrice.
Le principe de l’impermanence
Le principe de l’impermanence, ou le principe le plus utile que j’ai appris ces dernières années. Il y a quelques années, j’ai commencé à m’intéresser à la méditation. J’ai beaucoup lu, écouté, médité, et je continue chaque jour de travailler pour continuer de marcher sur le chemin qui me convient (non, cert article n’est pas sponsorisé par André Comte-Sponville). Au fil de mes lectures, discussions et méditations, j’ai appris énormément de principes salvateurs, dont celui de l’impermanence. L’impermanence, c’est quelque chose qui ne dure pas. Ce sont nos états : la fatigue, la douleur, la colère, la joie, la tristesse. On accueille un état, on l’observe, et on ne s’y attache pas. Parce que de toute façon, il est impermanent.
Cela parait logique, mais une fois que l’on tente de s’en souvenir à chaque fois que l’on ressent quelque chose ; ça fait la différence. Et pour moi, ça fait toute la différence, au quotidien. Que cela soit pour supporter la douleur d’un tatouage de six heures, une nouvelle qui me brise le coeur, une colère passagère…
Quand je dis au revoir pour longtemps, je sais que la tristesse que je ressens ne durera pas. Les gens me manqueront à certains moments, parfois je serai triste en pensant à eux, mais cette tristesse qui m’écrase les tripes et le coeur, elle, ne durera pas. Alors je dis au revoir, et je lâche le sentiment.
Dire au revoir, ça me met mal à l’aise
C’est un peu le même sentiment que lorsqu’une personne que l’on ne connaît pas marche à la même allure que nous dans la rue. On ne la connaît pas cette personne, mais ça fait 150m qu’elle est à côté de nous, et elle marche trop vite pour que l’on puisse la doubler sans que cela soit malaisant, mais pas assez vite non plus pour que, si l’on ralentit, on n’ait pas l’impression d’être une petite tortue perdue dans la ville. Dire au revoir aux gens, pour moi, c’est ce sentiment-là. Même des gens que je connais depuis des décennies. C’est bête hein ? Mais maintenant que je vous l’ai dit, avouez que vous vous retrouvez dans la description aussi.
Parce qu’entre les au revoir et les retrouvailles, j’ai choisi mon camp
Si je ne mets vraiment pas d’efforts dans mes au revoir, c’est parce que je mets le paquet dans mes retrouvailles. Du câlin en veux-tu en voilà, de la surprise en mode “je suis à la porte” alors que je n’étais même pas sensée être dans le même pays, de la petite pancarte personnalisée à l’aéroport, et du cadeau souvenir qui fait plaisir ; rien ne me rend plus heureuse que de passer du temps à m’imaginer comment je vais pouvoir retrouver ceux que j’aime quand ce sera l’heure.
Allez, salut.
Vous étiez prévenus.