La première fois que j’ai entendu ce terme “rapport homothétique”, c’était pendant un cours de PAO (Publication Assistée par Ordinateur) (et pour ceux qui se demandent, oui c’est tout autant l’angoisse que le nom que ça porte). J’étais alors en Master et un prof essayait tant bien que mal de nous donner envie d’utiliser Photoshop.
Il y a avait plusieurs catégories de gens dans la classe :
Les futurs DA ; ceux qui géraient déjà Photoshop plus que le prof et qui n’avaient donc pas vraiment d’intérêt à écouter le truc à part pour poser des questions auxquelles le prof ne saurait pas répondre et le regarder se noyer dans ses explications. Les étudiants sont cruels.
Les futurs CR ; ceux qui avaient des amis DA qui leur feraient leur projet contre des rédactions de devoirs / lettres de motivation / et tout ce qui touche aux mots. Enchantée.
Les nanas de Relations Presse qui draguaient le prof en battant des cils derrière leurs lunettes Chanel commandées sur Ventes Privées.
Un mec qui passait ses soirées dans des boîtes et se pointait en classe de temps en temps, dont les parents étaient si riches que les frais d’entrée de cette école privée ne représentaient pour eux que de la petite monnaie. Il finirait YouTubeur ou Influenceur (ce qui ne commençait seulement à apparaître à l’époque) (oui je suis vieille) et mourrait d’une overdose avant ses trente ans.
Entre deux pages du bouquin que j’étais en train de lire, j’avais quand-même écouté ce que racontait le prof, parce qu’il essayait de nous expliquer que le rapport homothétique, c’était le fait de pouvoir bouger l’un des points d’un élément, sans en distordre l’ensemble et donc sans rien déformer ou modifier.
Il essayait de nous prouver qu’il y avait une option qui nous permettait de déplacer un élément fondamental, sans abîmer le reste de l’ensemble. Et ça, ça m’intéressait vachement, parce que je n’étais pas d’accord. Du tout.
On croit en des choses, on construit des projets, on imagine un avenir, et pour chacune de ces choses, il y a différents “points” que l’on peut déplacer ou qui peuvent se déplacer tout seuls. Et si une chose se déplace, c’est tout le reste du projet qui est compromis.
Si un chef de chantier promet une livraison à telle date et que le matériel est livré en retard, c’est tout le chantier qui prend du retard. Les appartements sont habitables en retard. Les futurs propriétaires s’installent donc en retard. La crémaillère ? Retardée également. Et c’est tout le reste qui subit le premier point qui a été déplacé, et ce pour toujours.
Alors son rapport homothétique, il pouvait s’accrocher pour essayer de m’y faire croire. Photoshop ou pas Photoshop. C’est comme l’émission qui passait quand on était petits : “Domino Day”. Si si, souvenez-vous. Des heures pendant lesquelles des espèces de sociopathes alignaient des milliers de dominos pour au final en faire tomber un, qui allait en faire tomber un autre… jusqu’au dernier. Les participants avaient l’air de jouer leur vie, attendant nerveusement que le malheur finisse par arriver, que l’un des dominos ne tombe pas, faisant foirer des mois de préparation (mais que font ces gens dans la vie ?) et le projet global.
Il suffit de modifier un mini détail dans n’importe quelle situation pour que toute la suite logique n’en soit plus une et que cela porte préjudice à la totalité des personnes concernées. C’est aussi ce que l’on appelle plus communément “l’effet papillon”, qui met en exergue le fait que tout est lié et que chaque action a ses répercussions, qu’elles soient là où l’on peut les voir, ou pas.
Alors avant de prendre une décision qui selon nous ne concernera que notre personne, on se pose et on réfléchit à comment ça peut impacter d’autres âmes. Est-ce que l’on avait fait une promesse que l’on ne peut finalement pas tenir et qui va mettre dans une situation compliquée ou décevante des personnes ?
Est-ce que l’on n’honore pas la partie du contrat dont on était responsable ? Est-ce que l’on n’honore pas ce que l’on s’était promis à nous-même ? Est-ce qu’on laisse tomber son équipe, sa famille, ses amis ?
Le plus difficile, c’est que la plupart du temps, on n’a pas besoin de répondre par la positive à ces questions pour faire changer le cours des choses. Parce que l’on n’a — la plupart du temps — pas même conscience que le cours des choses est fragile, tellement fragile. Se rendre à une soirée à laquelle on ne devait pas aller peut changer notre perception des choses, ou nous faire perdre notre portefeuille. Ou les deux.
Tout ne tient qu’à un fil si fin qu’il n’est pas visible à l’oeil nu, et qui pourtant raccroche tous les autres fils de notre vie, faisant tenir en équilibre notre futur, comme un château de cartes que l’on n’oserait pas regarder par peur qu’un battement de cils le fasse tomber.