Pour ceux qui me connaissent, vous savez que je ne suis pas du genre à me laisser faire. Pour ceux qui ne me connaissent pas : bonsoir, je ne suis pas du genre à me laisser faire.
Mais ne pas se sentir en sécurité en voyage, ce n’est pas comme dire à un mec isolé dans la rue qui nous fait la cour version 2021 en nous hurlant un romantique “J’te b**se” à 23h, d’aller se faire foutre. C’est un ensemble de milliers de ces hommes isolés, qui ne deviennent plus isolés du tout.
J’ai eu l’occasion de voyager dans des pays “sûrs”, dans des pays “compliqués”, des pays très conservateurs, des pays TRÈS conservateurs, à deux, à quatre, à dix (niveau logistique ce n’est pas l’enfer du tout et ça ne te fait pas pousser vingt cheveux blancs par jour), et toute seule. Et clairement quand on voyage toute seule ; on n’a ni la même logique, ni la même organisation. Pas tant pour les trajets ou les horaires, ou encore pour les paiements et les “ah vous ne prenez pas la carte et le prochain DAB est à 57 kilomètres ? D’accord.” Pas non plus pour les “okay donc il faut imprimer mon visa alors que je suis au milieu de rien mais au moins j’ai mon visa ensuite il ne faudra plus que faire le test PCR / l’attendre / imprimer les résultats en priant qu’ils arrivent à temps. Et qu’ils soient négatifs / aller prendre le bus / confirmer le check in au Airbnb / avoir du réseau pour voir où je peux acheter la puce du nouveau pays / retirer des devises / acheter la puce du nouveau pays…
Niveau logistique ce n’est pas l’enfer du tout et ça ne fait pas pousser quarante cheveux blancs par jour.
Mais je parle ici plutôt pour les mesures de sécurité auxquelles on doit penser, nous, les femmes, en 2021. Et je ne sais pas pour vous, mais planifier d’aller voir un coucher de soleil et devoir être rentrée avant qu’il fasse nuit c’est plus sportif qu’un biathlon. En même temps je n’ai jamais fait de biathlon. Disons que c’est plus sportif qu’un biathlon l’est dans mon esprit.
Que celle qui n’a jamais changé de trottoir parce qu’un mec louche était trop près, me jette la première bouteille de spray au poivre.
Et cette sensation d’insécurité peut évoluer au sein d’un seul et même pays. On va pouvoir se sentir très bien sur la côte, et plus bien du tout dans une ville.
Pour la première fois et après une cinquantaine de pays visités, je n’ai pas pu faire tout ce que je voulais quand je suis allée à Stone Town, la ville principale de Zanzibar. Ayant vécu à Paris une partie de ma vie, je sais ce que c’est que de se faire emmerder. Mais ne pas pouvoir aller dans certains endroits parce que je ne me sentais pas assez en sécurité alors que j’aurais dû l’être ; c’était une première. J’avais rêvé de ces dizaines de stands de street food qui apparaissent tous les soirs à 18h près du port. Mais c’était sans compter les centaines d’hommes qui allaient me donner envie de vomir à chaque pas alors que je tentais de parcourir le kilomètre qui séparait mon hôtel de ce fameux marché.
J’ai tenté trois fois d’y aller, et lors de ma troisième tentative, j’ai réussi à parcourir 800m sur le kilomètre. Et en 800m, c’était comme un concentré de ce que j’avais vécu dans cette ville les trois jours écoulés ; des regards insistants, des phrases en kiswahili pour parler de moi, des gestes obscènes, des grognements, sifflements, onomatopées en tout genre. Je précise qu’à chaque fois que je vais dans un pays musulman, je m’habille en fonction. Non pas que je doive me justifier sur ma façon de m’habiller, mais pour que tout ça soit clair, on parle de situations qui me sont arrivées alors que je portais un jeans ou un legging et un tee shirt long ou une robe extra longue. Le tout sous 35°c. Je m’habille dans le respect d’une religion en laquelle je ne crois pas, et je ne vais pas vous faire un long — très long pavé — sur la religion, mais dans la catégorie connerie archaïque qui déclenche les guerres et divise les peuples, on n’a jamais fait mieux. Enfin pire. Je m’habille donc dans le respect de la religion, et en échange, personne n’est foutu de me respecter en tant que femme ? Je ne suis pas vraiment du type “un prêté pour un rendu” mais si je dois transpirer de l’aine douze heures par jour, j’aimerais que l’on me respecte un minimum. Et puisque l’on y est, même quand je m’habille en short. Mais visiblement le monde n’en est pas encore là…
L’hypocrisie conservatrice sous couvert de la religion commence sérieusement à me fatiguer.
Alors je cherche les femmes dans la ville et leur soutien, mais elles ne sont pas là. Les femmes ici, elles sont à la maison. Une ville d’hommes qui font donc comme bon leur semble, sans se demander une seule seconde si leurs actions auront des répercussions. Et entre deux grognements — les miens — fatiguée de devoir presser le pas sous la chaleur étouffante de la ville, dans un labyrinthe de rues dans lequel l’air ne s’aventure pas, je fais parfois de belles rencontres.
J’entends quelques mots en Français, je me retourne, prête à en découdre. “Oh tu parles Français ?”. Quand je vois sa petite tête d’enfant, j’ai les sourcils qui se détendent. “Je ne veux pas t’embêter mais on est au lycée avec mes copains et moi j’apprends le Français, on peut parler deux minutes pour que je m’entraîne. Personne ne parle Français ici”.
Si mon cœur n’avait pas déjà fondu à cause de la chaleur écrasante présente dès 9h du matin, ç’aurait été le cas maintenant.
Il a 16 ans et me propose de parler le temps de m’amener là où j’ai décidé de prendre mon petit déjeuner. Son Français est impeccable alors qu’il a commencé à prendre des cours il y a seulement six mois. Il veut être médecin. Mais faire ses études supérieures à Paris, pour avoir un vrai bon poste de médecin. Outre le fait que c’est un enfant et que je ne me sens pas en danger, il a eu la bienveillance de m’approcher en me donnant confiance. Il ne m’a pas suivie, il m’a dit bonjour et s’est arrêté pour me dire de quoi il retournait, attendant que je sois celle qui aille vers lui si j’en avais envie. Quand on est arrivés près de ma destination finale (à quel point les films étaient géniaux, on en parle ?), il m’a dit au revoir, m’a checké la main et est parti.
Simple, basique.
Alors pourquoi un adolescent de 16 ans a la décence de respecter une femme en l’approchant, quand des centaines d’hommes ne sont pas foutus d’être respectueux du sexe opposé ?
Quand je faisais du volontariat au sein d’une école Tanzanienne, pas mal de profs ont défilé en l’espace de trois petites semaines. Entre ceux qui démissionnent, ceux qui ne se pointent tout simplement plus, qui sont malades…Le dernier en date refaisait le même cours que l’on avait déjà fait plus de dix fois, et même si je lui disais, cahiers des élèves à l’appui, il ne semblait pas vraiment en avoir quelque chose à faire. En Tanzanie, l’éducation c’est la répétition, même si les enfants n’ont aucune idée de ce qu’ils sont en train de faire. Et là, ce dont il n’avaient aucune idée, c’étaient les noms en anglais des différentes parties du corps, et leur utilité. Les yeux servent à voir, les mains à toucher, la bouche à manger, le nez à sentir, et les cheveux des femmes… à séduire.
Les cheveux des femmes à séduire ? Quand j’ai tenté d’expliquer que les cheveux des femmes n’avaient pas pour but de séduire, j’ai eu la sensation que le prof tombait des nues.
“Bah, à quoi ça sert alors quand vous montrez vos cheveux ?”
J’ai expliqué calmement que les cheveux protégeaient le crâne, qu’ils permettaient de garder la tête au chaud et de ne pas l’exposer à tout et n’importe quoi. Comme ma main qui allait venir s’aplatir sur le sien s’il continuait d’apprendre n’importe quoi à des jeunes enfants malléables.
Tout ça pour dire quoi ? Qu’il faut éduquer les hommes à respecter les femmes. Ca ne me paraît pas compliqué, et pourtant, en 2021, je suis partagée entre mettre des écouteurs pour ne pas qu’on m’emmerde, et les enlever pour entendre si quelqu’un me suit. Franchement les gars, pour une myope et astigmate, me suivre alors qu’il fait nuit et qu’il n’y a pas d’éclairage public, vous ne trouvez pas ça un peu lâche ?
Découvrir un pays, l’arpenter, user ses rues, ses plages, ses bars, ses restaurants, sourire à ses habitants à s’en décrocher la mâchoire, apprendre une langue inconnue à s’en abimer le palais ; ce sont autant de sentiments merveilleux. C’est du coup encore plus frustrant quand le sentiment d’insécurité vient ternir l’expérience.
J’ai bon espoir qu’un jour, on pourra toutes mettre nos écouteurs en marchant, sans se demander si ça craint.
Et pas seulement parce que l’on redoute que quelqu’un se rende compte que l’on écoute les Poetic Lovers.