lost in translation

Je n’arrête pas de lire des tas d’articles qui parlent de la solitude frappant les gens qui habitent dans des mégalopoles. Il y a même Klapisch qui en a fait le sujet de son dernier film, c’est pour dire. On vit entassés les uns sur les autres, dans des appartements trop petits aux murs si fins qu’ils enlèvent toute forme d’intimité, aux lignes de métros qui exacerbent la promiscuité, et pourtant, 45% des 18-35 ans auraient déjà ressenti un ou plusieurs épisodes de profonde solitude. (source AFP).

Mais comment peut-on être seul.e.s dans des villes telles que Paris où l’on ne peut pas faire un pas sans se cogner contre le tote bag d’un.e inconnu.e ?

Comment se sentir seul.e alors que le Prêt à Manger du coin de la rue a toujours une file d’attente d’au moins dix minutes, qu’on laisse passer trois métros avant de pouvoir monter dans une rame, qu’il faut toujours attendre pour bruncher, que les bars sont bondés du lundi au dimanche, que les places de concert s’écoulent en 60 secondes, que les trottoirs sont trop étroits pour ces millions de personnes qui les empruntent chaque jour et que l’on ne peut être tranquille qu’en prenant le train pour s’éloigner de cette ville surchargée qu’est Paris ?

Toutes ces questions, je me les pose depuis déjà bien longtemps. Mais je me les suis encore plus posées ce week-end, alors que j’étais dans un TER grinçant qui m’emmènerait à une heure de Paris, là où l’on peut randonner d’étang en étang, dans un silence assourdissant.

Puis au cours de ma randonnée, j’ai rencontré Philippe. Alors que j’essayais tant bien que mal de m’enfoncer dans l’étang dont le sol semblait vouloir m’avaler à chaque pas, j’ai aperçu Philippe qui se baignait aussi. Il était confiant, en train de flotter au milieu de l’étang. Lui ne pensait visiblement pas à tous les monstres qui pouvaient peupler cette grosse flaque d’eau marécageuse. J’ai essayé de garder la face, sous les encouragements positifs de mon amie qui elle était restée à l’extérieur et qui me disait des mots de soutien au loin (“ALLEZZZ LAAA FAIS PAS L’ENFANT. En même temps c’est sûr qu’il doit y avoir des poissons immenses là-dedans. Avec des dents et tout”) avec pour réponse de ma part un sang froid des plus maîtrisés “REDIS ÇA ET JE TE JURE JE VIENS TE CHERCHER SUR LE RIVAGE ET JE TE NOIE”).

Après m’être immergée dans l’étang en me répétant “ne pense pas au fond gluant, ne pense pas au fond gluant, ne pense pas au fond gluant”, Philippe et moi avons commencé à parler. Un homme d’une gentillesse incroyable, le tonton sympa qui s’intéresse foncièrement à toi aux dîners de famille. Pas le tonton raciste chelou. Pas le tonton bourré (peut-être le même que le tonton raciste chelou). Juste le tonton sympa. 

Après avoir fait taire ma petite voix dans ma tête qui me disait “peut-être qu’il va te tuer et te noyer dans l’étang”, je me suis dit que :

1 – Je nageais carrément plus vite que lui, donc même s’il essayait de me tuer, je partais avec un avantage.

2 –  On était deux contre un. 

3 – J’allais quand même dire que je faisais de la boxe anglaise depuis longtemps, juste pour planter le décor. S’il essayait de me tuer, qu’il sache qu’il ne s’attaque pas à une joueuse de badminton ou de ping pong.

4 –  Je ne pouvais pas mourir à Rambouillet. Non pas que ce soit impossible, mais c’était trop injuste pour que ça arrive.

Au fur et à mesure de la conversation avec Philippe, j’ai compris qu’il avait du mal à se faire des amis. Il nous parlait de ses pérégrinations sur des sites type OVS pour organiser des activités culturelles dans le but de rencontrer des gens, et le fait que ce n’était pas toujours évident. Il avait la sensation qu’il était plus difficile à son âge qu’au nôtre de se faire des amis, et surtout que les parisiens avaient tendance à ne pas tisser de liens durables en dehors de leur cercle d’amis.

On a papoté avec Philippe, à nager dans l’étang et à se raconter nos vies, à débattre de Paris, de sa complexité, des relations humaines, de sport. Et je n’ai pas pu m’empêcher de repartir avec le coeur lourd. J’ai souvent besoin de temps calme, de moments de solitude où j’ai le temps de me poser avec moi-même. J’aime partir en vacances seule pour prendre le temps de faire ce qui me fait plaisir, au moment où ça me fait plaisir. Mais si j’aime ces moments-là, c’est, je pense, parce que j’ai la chance d’être entourée depuis longtemps, et de pouvoir avoir des amis et des gens que j’aime qui se rendent disponibles pour être dans ma vie de manière constante. Mais j’ai tellement vu des gens craquer à cause de la solitude. Des personnes qui donnaient le change, pour finalement pleurer en avouant à demi-mots qu’ils souffraient de ne pas avoir d’amis. Les ayant mis de côté alors qu’ils avaient rencontré quelqu’un duquel ils se séparaient après de longues années, se retrouvant seuls. Ayant déménagé et n’ayant pas gardé contact avec ceux qui constituaient leur “vie d’avant’. Ayant privilégié leur vie professionnelle en oubliant leur entourage, et en s’oubliant eux-mêmes.

Alors je ne sais pas comment je réagirais si, à cinquante ans passés, j’étais seule, avec une difficulté à me faire des amis. Mais plus je rencontre de gens, et plus je me dis que ce que je sais, c’est qu’à trente ans, avec plein d’amis de longue date et de nouveaux qui apparaissent chaque jour, faisant de ma vie une vie riche et inspirante, ce que j’ai envie de faire c’est de tendre la main à ceux qui n’ont pas forcément la chance que j’ai.

Sans réfléchir à la différence d’âge, sans me dire que c’est étrange que la personne n’ait pas d’amis, sans écouter les “tu ne peux pas sauver tout le monde”, ni cette petite voix qui me dit que ça va être bizarre d’avoir un ami si différent des autres. Juste en écoutant ce que j’ai envie de faire pour partager un peu de l’amour qui m’entoure.

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