sur le papier

Vous connaissez les choses qui fonctionnent sur le papier, et ne fonctionnent que sur le papier ? C’est peut-être la plus gros source de frustration que l’on ressent dans la vie. Bon okay, dans ma vie. Parce que contrairement aux autres frustrations, les « sur le papier » nous donnent le sentiment que cela aurait pu marcher. Cela aurait pu arriver, on était si près du but, on a eu un moment d’espoir, peut-être même long, avant que l’on ne comprenne que la situation ne resterait parfaite que…sur le papier. Et le pire dans tout ça ? Tout comme les frustrations classiques, les « sur le papier » concernent tous les pans de la vie. Les relations, le job, les plaisirs, la nourriture, les vacances, le sport. J’en passe et des meilleures. Enfin j’en passe et des pires.

Les frustrations classiques qui ne dépendent pas des « sur le papier », ont le mérite d’être honnêtes. Elles ne nous mènent pas en bateau, elles ne nous font pas miroiter une situation fantasque dans laquelle on se projette. Commander une pizza sur laquelle se mélangent des tranches d’ananas, de la dinde, des tomates en boîte et des olives en sachet ne peut en aucun cas suivre d’une déception. On le sait, on le sait pertinemment que cela va être horrible. On ne place pas nos espoirs trop hauts, et si par miracle — ou erreur, appelez ça comme vous le voudrez — on commande cette pizza — qui donnerait une crise d’épilepsie à Gordon Ramsay rien qu’en lisant la liste des ingrédients — on penserait déjà au back up dîner que l’on devrait prévoir ; celui que l’on irait chercher sur le chemin retour, parce qu’évidemment, on a encore la mega dalle et que l’on pense, en plus, être dégoûté de l’italien pour le reste de sa vie.

Mais qu’est-ce qu’il se passe quand on commande une pizza qui semble, à tout point de vue, être parfaite. On lit la carte, et on pose ses yeux sur la Toscane, décrite comme « une pâte fine avec base tomates fraîches, mozzarella di buffala, roquette, basilic, ail et huile à la truffe » ? On s’emballe, on lit les ingrédients plusieurs fois, on écoute notre estomac nous ronronner des « oh yaaaaas » extatiques, on lit les ingrédients tout hauts pour partager notre joie, on regarde les autres pizzas tout en sachant pertinemment que notre choix est déjà établi et immuable, et puis on passe notre commande, le sourire aux lèvres, sûr de son choix, et de sa victoire gustative. La pizza arrive, elle est jolie, elle sent bon, tous les ingrédients sont parfaitement assortis, et on se la pète un peu en regardant d’un oeil plein de jugement les autres plats sur la table, en se disant que l’on a clairement fait le meilleur choix. Tout le monde le sait, un peu jaloux de ce que l’on a devant nos yeux, en zieutant du coin de l’oeil notre Toscane. Et même si l’on ne l’avoue pas, avoir tout le monde jaloux de notre pizza, lui donne un avant-goût un peu meilleur, avant même que l’on n’ait porté la première bouchée à nos papilles. Et puis l’on goûte, enfin. Et là, c’est le choc, le désarroi. 

« Alors c’est comment ta pizza ? »

On fait mine d’avoir la bouche pleine pour ne pas avoir à répondre, mais en fait, on essaie de gagner du temps. Parce que c’est pas mal, mais c’est pas non plus la révolution. Et on a du mal à l’admettre. On ne veut pas l’admettre. Ce n’est pas possible, cette pizza, elle avait tout pour devenir une pizza de notre top 3. Peut-être même notre pizza numéro 1. Oui mais voilà, ce n’est pas le cas. Et franchement, c’est pas juste ; sur le papier tout était parfait.

Alors pourquoi ? 

Parce que l’on ne sait pas toujours ce dont on a envie, même quand on pense en être sûr

Ça se trouve, cette pizza, elle est parfaite. Mais sans s’en rendre compte, sans même le réaliser, entre le moment où on la commande, et le moment où elle arrive sur la table, on a parlé du voyage en Thaïlande de nos amis, et notre cerveau a pensé à la première fois où l’on avait mangé un pad Thai à Bangkok, et où l’on avait été ému aux larmes (bon peut-être pas, mais vous voyez l’image). On a repensé à ces légumes parfaitement grillés, à la première bouchée, à notre surprise, et à cette joie qui s’était écrasée sur nous sans crier gare. Et inconsciemment, on a projeté des attentes inatteignables, en plus d’une envie de Pad Thaï qui n’était pas du tout présente cinq minutes plus tôt. La seule issue ? La déception. Et l’envie de booker un aller simple pour Bangkok. Ou une table chez le Thai trop bon en bas de chez nous.

Parce que ce n’est pas sous prétexte que l’on aime tous les ingrédients que l’on va aimer l’ensemble

Et oui, je sais ; une fois de plus, l’injustice est bien présente. Mais une pizza, c’est comme un mec. Ou l’inverse. Ce n’est pas parce qu’il est beau, musclé, intelligent, bien habillé, drôle et sensible que l’alchimie va être au rendez-vous. C’est agaçant, frustrant, ça nous laisse sur notre faim dans les deux cas, mais c’est comme ça.

Parce que l’expérience n’est pas constituée seulement de la nourriture

Un restaurant ce n’est pas seulement la nourriture que l’on nous pose devant nous, mais c’est aussi tout le reste. L’ambiance du lieu, les lumières, le niveau sonore, le staff, les personnes avec lesquelles on partage l’expérience, sont autant de critères à prendre en compte. Et par conséquent, autant de critères qui font qu’une expérience parfaite sur le papier, peut devenir — en réalité — complètement foirée.

Une pizza a priori géniale peut devenir amère si le serveur est désagréable, que l’on ne s’entend pas parler ou que notre table donne sur les toilettes qui n’ont visiblement pas été lavées depuis quelques services. Et un date avec un mec qui paraissait génial mais qui nous emmène voir une Corrida peut devenir très très long. A part si vous aimez la Corrida. Mais dans ce cas-là vous avez un problème d’une toute autre envergure si vous voulez mon avis.

Parce qu’il y a toujours des aliments cachés 

Attendez attendez attendez… Qui avait parlé de baies roses négligemment posées sur la totalité de la pizza ? Vous savez ces baies assez entières pour que l’on soit obligé de croquer dedans une bouchée sur deux, mais tout de même un peu broyées pour que l’on ne puisse pas les enlever entièrement ? Je ne sais pas pour vous, mais moi j’aime ma pizza comme j’aime mes hommes : larges, que je n’aie pas à partager avec qui que ce soit, et honnêtes. S’il y a de la coriandre dans la marinade — ou un premier mariage — je veux être au courant dès le début.

Parce que tout est une histoire de dosage

Gin Rasberry Sour… Du gin, des rasberries et du sour… Dans quel monde est-ce que cela pourrait être mauvais ? 

Dans un monde où l’on met 99% de Rasberries pour un trait de gin, ou l’inverse. Ce n’est pas imbuvable, ni même mauvais (si le cocktail est constitué de 99% de gin, préparez quand-même le Doliprane 1000 sur la table de chevet, on n’est jamais trop prudent) ;  juste pas équilibré du tout. Et même avec les meilleurs ingrédients du monde, sans équilibre, c’est foutu.

Parce que « non mais je te jure je ne pourrais jamais m’en lasser » jusqu’au jour… où l’on s’en lasse

La beauté de la raclette, ou de cette robe longue en soie que l’on ne sort que pour les grandes occasions aussi diverses soient-elles (mariages / premiers dates / EVJF / jeudis ensoleillés) ?

Elles ne sont pas un élément du quotidien. 

Et bien que l’on soit des êtres d’habitudes, on est tout autant des êtres de changement. Et on dira ce que l’on veut ; on se lasse très rapidement. Je ne dis pas que je râlerai si je dormais dans une Beach house tous les soirs avec Tom Hardy, mais je suis persuadée qu’au bout d’un temps, je me surprendrai à penser au Pôle Nord. Ou à Liam Hemsworth.

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