théière versus avocat de la défense

L’automne est là ; bien installé avec ses pumpkin spice lattes et ses préparatifs de cocktails à base de dry ice pour une soirée d’Halloween qui “cette année, va vraiment envoyer vous allez voir”. 

L’automne, c’est la période douce-amère de l’année où l’on est sans cesse divisé entre la joie de pouvoir rester chez soi, seul.e ou avec des ami.e.s, et la tristesse ambiante qui va de paire avec le ciel qui se pare de son plus beau pantone de gris. Et si certains dimanches soirs sont agréables, passés dans un canapé dont l’assise finit par prendre la forme de notre séant (séant, ça veut dire “bouli” mais en plus joli) (bien que le terme “bouli” ait un certain cachet je trouve), d’autres dimanches peuvent rapidement prendre une direction plus morose.

Et c’est bien souvent à ce moment-là, alors que j’ai envie de me relever pour me refaire une théière qui est beaucoup trop loin dans l’appartement, que je me souviens des personnes qui ont partagé ma vie. Et ma théière, donc.

S’en suit une liste, plus ou moins exhaustive de ces personnes. Entre deux rictus de “oh mon Dieu mais qu’est-ce qui m’a pris” et trois “OH MON DIEU MAIS QU’EST-CE QUI M’A PRIS ??”, je finis par me souvenir d’un nom. Et plus je le tourne dans tous les sens ce nom, plus je me demande pourquoi je ne partagerai pas ma théière avec cette personne, juste le temps de quelques semaines, histoire de faire des cookies, de lire des bouquins au chaud et toutes sortes d’activités automnales que l’on voit dans les films Netflix et qui nous donnent l’impression que faire une fournée de cookies seul.e n’est décidément pas acceptable en 2019. 

Ni jamais d’ailleurs.

Et c’est à ce moment-là que je sais, JE SAIS que je vais dans la mauvaise direction. Que si j’ai décidé à un moment de ne plus vouloir partager ma théière avec cette personne, c’est qu’il y avait des raisons. Le téléphone me démange, est-ce que je ne lui enverrai pas un petit texto ? Alleeeeeez un p’tit texto c’est rien, juste histoire de prendre de ses nouvelles. Les négociations avec moi-même commencent, j’ai beaucoup d’arguments recevables, les raisons qui expliquent la fin de notre feu partage de théière sont vagues, et j’ai toujours autant la flemme de me lever pour une nouvelle infusion.

Et là, mon avocat de la défense débarque.

Mon avocat de la défense, c’est cette personne qui vit dans un coin de ma tête. Celle qui sait ce qui est bon pour moi, qui est objective quant à mes prises de décisions, et qui me raisonne quand personne d’autre n’y arrive. C’est cette personne avec laquelle je négocie souvent dans ma tête, essayant en vain de la persuader, de me persuader, alors que je sais parfaitement quelle est l’issue à emprunter dans une situation de doutes.

Je ne suis toujours pas allée chercher la théière, ma tasse est vide. Je la regarde en me disant qu’il suffirait que je rappelle ce mec pour qu’il puisse me faire un thé, et que l’on serait heureux à binge watcher Netflix en buvant une infusion cannelle orange tels des retraités.

C’est là que mon avocat de la défense me juge, et, trop habitué à cette situation familière, s’approche de la barre en me regardant, dépité, mais bien décidé à me prouver à quel point j’ai tort.

S’ensuit alors un combat interne entre mon avocat de la défense et mon moi flemmard dont le moral est en berne parce qu’il fait moche dehors. Les arguments pleuvent des deux côtés, et la schizophrénie me gagne, ainsi qu’un mal de tête imminent, à force d’écouter les avis de l’un et l’autre, se renvoyant leurs arguments comme une balle de match à Roland Garros.

— Oui mais il était mignon quand-même, avec ses yeux empreints de gentillesse

— Les yeux que tu voulais enlever de ses orbites quand il ne t’écoutait pas et pouvait passer 6 jours à t’envoyer des messages juste pour te raconter ses vacances sans jamais te demander comment tu allais ?

— C’est arrivé une fois…

— Parlons-en des voyages, souviens-toi le soulagement d’être sans lui quand tu es partie. Tu voulais un signe ? Tu l’as eu.

— Oui mais parfois on rigolait bien

— Tu peux rigoler avec tout le monde

— C’était sympa d’avoir quelqu’un à qui envoyer des messages

— Envoie donc un message à ton père, tu ne lui donnes pas assez de nouvelles

— Hey tu vas te calmer l’avocat de mes deux là

— Bah alors, on est énervée ? Et encore, c’est rien par rapport au jour où tu as failli quitter le restaurant tellement ses propos étaient désobligeants

— Arrête

— Quand tu lui disais non mais qu’il insistait, n’écoutant que ses envies, te jetant au visage son égoïsme et son manque d’éducation.

— Je te le demande une deuxième fois ; arrête.

— Et votre deuxième date avec cette pauvre serveuse qui n’a pas su où se mettre quand tu pensais qu’il avait payé vos deux consommations alors qu’il n’avait payé que la sienne ?

— Arrête bon sang

— Et ce week-end à Deauville où il t’a forcée à aller au casino alors que tu étais malade

— Putain mais tais-toi

— Et les pop corns. Rappelle-toi des pop corns.

— …

— Tu sais que j’ai raison

— Bon, je vais me faire du thé. Tu en veux ?

Vous avez un avocat de la défense vous ? Il gagne souvent ? De mon côté je fais en sorte de l’écouter, parce qu’il a beau être énervant, il a quand-même très souvent raison. A part quand j’ai bu deux verres. Dans ces cas-là, sa voix ne devient qu’un murmure lointain, et en général il attend que je me réveille le lendemain pour me regarder avec un sourire moqueur et un sourcil hautain en me disant : “Je t’avais prévenue”.

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