À chacun de mes voyages, je me demande si je me verrais vivre dans le pays dans lequel je me trouve. J’arrive souvent à trouver des choses que j’adore dans ledit pays.
J’adorais pouvoir aller d’île en île à coup de ferry quand j’ai passé quelques mois dans les Cyclades, je suis tombée sous le charme de l’Océanie et de son amour pour les sports extérieurs quand je vivais en Nouvelle-Zélande, j’ai adoré vivre pieds nus aux îles Fidji, être immergée dans la nature quand je vivais en Afrique du Sud, me déplacer en Tuk Tuk pendant mon mois au Kenya, aimé être sûre de manger quelque chose de bon à chacun de mes repas italiens, j’adorais vivre au rythme des marées quand je vivais à Zanzibar…
Chaque séjour — long ou non — dans un pays me permettait d’avoir un aperçu de quelque chose de nouveau. Et même s’il y avait parfois — souvent — des choses que je n’aimais pas forcément, comme l’humidité dans les maisons en Nouvelle-Zélande, la nourriture aux Maldives, les regards insistants en Tanzanie, le bruit au Liban ou la chaleur extrême du Burkina Faso : chaque pays avait des aspects si incroyables que je réussissais à me projeter. Pas forcément pour une vie, ni pour y installer ma future famille ou y être expatriée pour les dix prochaines années, mais je pouvais m’y projeter.
Mais depuis quelques temps, je vis dans un pays dans lequel j’ai du mal à me projeter, alors même que j’y vis.
J’ai essayé les premiers mois de trouver des aspects qui me permettraient d’y être expatriée sans devoir lutter contre la tristesse ; en vain. Après plusieurs mois à faire des listes de choses que je pourrais, que je devrais aimer, je sais que les points négatifs du pays ont pris le dessus et m’ont amenée à un constat sans appel.
Depuis quelques mois, je vis dans un pays que je n’aime pas : l’Égypte.
Je ne dis pas que l’Egypte est un pays moche, ni un pays nul. Je donne ici MON avis personnel, et pas pour une situation de type touristique, mais pour poser ses bagages sur le moyen / long terme.
Les goûts et les couleurs sont très personnels, je suis sûre que certains expatriés en Égypte sont très contents de leur choix, et j’en suis ravie pour eux. Mais en ce qui me concerne, l’Égypte et moi, on n’est franchement pas sur la même longueur d’onde.
Et parce que j’ai essayé de comprendre pourquoi je n’aimais pas ce pays, j’ai décidé de vous l’expliquer aussi.
L’Égypte, l’un de mes plus beaux voyages
En 2017, je découvrais l’Égypte pour la première fois. Je partais avec deux amis pour douze jours de road trip, à sillonner les routes dans des mini bus qui ne tenaient pas debout, à se lever aux aurores pour aller voir le lever du soleil sur le lac Nasser, les temples de Louxor, ceux d’Aswan, les pyramides de Gizeh, la beauté hors-norme d’Abou SImbel, à boire un verre dans les jardins merveilleux du Old Cataract au bord du Nil, à écouter les appels à la prière par des muezzins dont les voix s’échappent de mégaphones grésillants, à manger des sambousseks au fromage dans des bouis bouis qui auraient dû nous rendre malades, à siroter des karkadé en regardant la ville bouillonner sous 45°c.
On avait vécu douze jours incroyables, et en se disant au revoir à l’aéroport pour rallier nos maisons de Prague, de Beirut, et de Paris, on avait des larmes dans les yeux et des souvenirs aussi chauds que les pneus des vieilles Renault Égyptiennes. Entre temps, j’avais eu l’occasion de repartir en Égypte mais avais refusé, car ce voyage avait été si incroyable que je voulais garder mes souvenirs du pays intacts.
J’avais eu une telle claque visuelle de ces temples, de ces espaces immenses, des déserts brûlants, du brouhaha de la ville et de cette chaleur écrasante. Pour moi c’était certain ; j’avais eu la chance de découvrir l’Egypte une fois, et je voulais m’accrocher à ce souvenir qui selon moi, selon nous, était parfait ; je n’y retournerai donc pas.
Évidemment, le destin fait les choses comme il l’entend et quelques années plus tard, assise sur un banc branlant d’un bar de plage à Zanzibar, je demandais à celui qui deviendra l’homme de ma vie “Tu viens de quel pays ?”, ce à quoi il répondait “Égypte”.
Be free not to be : l’Égypte et la religion
L’Egypte est un pays où la religion musulmane prime à 90%. Les journées sont rythmées par les prières, et les bâtiments qui sont finis et dont n’émane aucun défaut sont toujours les mosquées ; impressionnantes de par leurs dimensions et leur sens du détail.
En fonction des régions, les habitants sont plus ou moins conservateurs. Dans les stations balnéaires comme Sharm el Sheikh, Hurghada, ou Dahab, les femmes peuvent porter des shorts (pas des shorts que l’on porte en Europe, mais des shorts quand-même) sans trop se faire apostropher parce qu’il y a beaucoup de touristes et d’expatriés. Au Caire, c’est jeans et tee-shirts minimum, et dans le sud du pays, plus on est couvert, mieux c’est (toujours un plaisir quand il fait 48°c). En Égypte, les gens vont te fixer. C’est culturel, et normal pour les Égyptiens. Ce qui est peut être excessivement anxiogène, surtout quand on est une femme et que l’on se balade toute seule. J’ai connu ça dans beaucoup de pays d’Afrique, notamment à Stone Town, la capitale de Zanzibar, où j’ai essayé à trois reprises d’aller dans un food market qui ouvrait à 18h (lorsque la nuit tombait) mais que j’ai dû rebrousser chemin parce que les gens devenaient trop insistants. En Égypte les gens ne te suivent pas mais te regardent pendant de longues minutes en te détaillant. Je ne vais pas y aller par quatre chemins ; c’est l’angoisse. Je couvre toujours mes jambes, fais en sorte de ne pas attacher/détacher mes cheveux en public, mais je suis toujours les bras nus, et la combinaison femme + peau blanche + tatouage = impossible de passer inaperçu.
Je ne suis pas religieuse, je ne l’ai jamais été, mais je respecte les gens qui le sont, et il ne me viendrait pas à l’idée de me balader en crop top dans un pays musulman.
Mais en Égypte, tu as beau respecter la religion, personne ne respecte le fait que toi, tu n’es pas religieux.
L’Égypte et son rapport à ses citoyens ; le syndrome de l’oncle Tom
Les Égyptiens ne traitent pas les leurs avec le même respect que les touristes. Un touriste, ou couple de touristes, sera toujours traité comme un Européen. Entendez, on ne peut pas lui faire de remarques. Le touriste se fait plumer à chaque fois qu’il achète quelque chose, soyez-en sûr, mais on en veut qu’à son argent.
Alors que les Égyptiens, entre eux, se permettent des façons de se comporter que je ne comprendrais et ne tolérerais jamais. Ici, les PDA (Public Display of Affection) sont interdits. On ne peut pas s’embrasser, s’enlacer, se tenir par la taille, ni se regarder un peu trop amoureusement. Non. C’est pêché, c’est contre les valeurs de l’Islam.
Moi je ne me sentais pas vraiment concernée, parce que ni ma moitié ni moi-même sommes religieux. Mais ça, les Égyptiens s’en foutent royalement, et ils prennent même la liberté de nous dénoncer à n’importe qui dès qu’ils en ont envie.
Attends, quoi ?
Et oui, ici, n’importe quel citoyen peut aller se plaindre à n’importe qui dès qu’il voit quelque chose qu’il trouve un peu trop contre l’Islam.
Tu embrasses ton copain / vous vous enlacez / vous vous papouillez l’épaule et c’est à coup sûr un mec sorti de nulle part, allant du chauffeur de bus dans lequel tu te trouves, au mec qui surveille la plage, qui va venir te voir pour t’expliquer qu’ici, c’est un lieu familial — comprendre conservateur à l’extrême au niveau de la religion — et que ça dérange le mec situé à trois parasols de toi que tu aies embrassé ton mec sur l’épaule.
Oui, le mec situé à trois parasols dont le gamin hurle en courant et en envoyant du sable partout. Le mec qui regarde des vidéos YouTube sans écouteurs en empêchant la moindre seconde de calme, et qui jetera ses huits papiers de gâteaux par terre, laissant le vent les emporter dans la mer Rouge. Celui-là même. Mais le Coran ne dit rien sur le recyclage, alors toi tu as le droit de te taire. Et d’arrêter d’être libre.
Mais ça, c’est une scène possible seulement si l’un des membres du couple est Égyptien. Si le couple est étranger, les Égyptiens n’ont rien droit de dire. Parce que les étrangers paient plus cher pour tout : taxis (on te demande ta nationalité avant de booker un taxi. Un américain paiera plus cher qu’un Russe qui paiera plus cher qu’un Français qui paiera plus cher qu’un Italien…), papiers “nécessaires” pour entrer sur un site touristique (l’Armée qui se remplit les poches pour juste regarder ton passeport et donner une autorisation imaginaire), tests PCR ou entrées au musée (jusqu’à dix fois plus cher pour les étrangers). Payer plus cher grâce au passeport, même passeport permettant la paix face aux Égyptiens religieux qui ne peuvent pas se permettre d’imposer leurs règles imaginaires à des touristes.
L’Égypte traite ses citoyens avec moins de respect qu’elle ne traite ses touristes. Je ne dis pas qu’elle traite ses touristes avec respect au niveau monétaire. Mais elle fait clairement preuve de racisme et d’injustice envers ses propres citoyens. Un ingénieur Égyptien sera payé 700$ quand un ingénieur Australien en Égypte sera payé 10.000$ pour faire exactement les mêmes tâches, au même poste. Certains propriétaires précisent clairement sur leurs annonces “seulement pour locataires étrangers – pas d’Egyptiens”. On a déjà refusé de servir une bière à mon copain fiancé parce que le serveur estimait que s’il était Égyptien, il devait forcément être musulman et donc ne devait pas boire pendant le Ramadan. Si l’on habite dans une ville balnéaire très touristique et que l’on subit moins les injustices que dans d’autres villes d’Égypte, il y a toujours un moment pour nous rappeler que dans ce pays, on ne sera jamais traité d’égal à égal : un portier qui garde la carte d’identité de mon copain mais ne demande pas la mienne pour rentrer dans un restaurant, des policiers qui posent trop de questions alors que l’on se fait arrêter par un barrage sur la route, une plage qui n’accèpte pas les visiteurs qui n’ont pas de chambre d’hôtel alors que j’avais pu m’y rendre toute seule deux jours avant… Le pays finit toujours par te rappeler qu’être libres et égaux en droits, c’est vraiment un truc qui ne les concerne pas.
La loi coranique l’interdit. La loi de la religion.
On ne peut pas louer de chambre d’hôtel ou d’ Airbnb car nous ne sommes pas mariés et que c’est donc interdit. Et si l’on souhaite dormir à l’hôtel on doit donc booker deux chambres et quelqu’un vérifie que l’on ne va pas dans la chambre de l’autre, avec obligation d’appeler la réception si l’un de nous oublie quelque chose dans le sac de l’autre. Je n’avais jamais rien vu d’aussi ridicule depuis un bout de temps, et aussi hypocrite, parce qu’à côté, les bars à “belly dancers” dans lesquels des Égyptiens lubriques viennent se rincer l’œil, ça par contre c’est très autorisé.
L’Égypte humilie ceux qui ne sont pas d’accord avec elle et crée ses propres lois que le meilleur des avocats ne pourra jamais condamner.
On ne peut pas gagner face à ce qui n’existe que dans l’esprit de certaines personnes.
Ici, tout est négociable — surtout le bon sens, et le respect mutuel. Et si la liberté des uns est sacrifiée, ce n’est pas pour la liberté des autres, mais pour la religion. Ici, le muezzin appelle à la prière — pas seulement les musulmans — mais l’Egypte entière, cinq fois par jour, dont une fois au beau milieu de la nuit. Chaque nuit, à 5h30, deux fois à quelques minutes d’intervalle, tous les muezzins d’Egypte appellent à la prière.
Et personne ne peut snoozer le muezzin.
C’est une alarme qui sonne alors que l’on ne l’a pas programmée. J’ai toujours respecté la religion, même si je ne suis pas religieuse du tout. J’ai eu la chance de vivre dans une famille où l’on m’a donné le choix, et où on l’a respecté. Dans un pays laïque qui respecte les choix des uns et des autres — bien que malheureusement certaines personnes soient encore stigmatisées pour leurs choix.
Mais comment ceux qui ne sont pas religieux vivent dans des pays où la religion est obligatoire ?
En Égypte, les citoyens ont l’obligation d’inscrire leur religion sur leur passeport et toutes leurs pièces d’identité, et “Athée” n’est pas en option. Quand j’ai dû faire mon visa annuel, on m’a demandé de choisir parmi les religions acceptées dans le pays. J’ai barré les options et ai rendu mon papier. La dame du guichet m’a regardée avec insistance, puis à de nouveau regardé le formulaire.
Je ne mentirai pas pour plaire à un pays.
Je ne cherche pas à m’adapter. Je ne cherche plus à m’adapter, parce que m’adapter à un environnement qui ne respecte pas ses Hommes ne mérite pas mes efforts. Ce que je dis est dur — mais s’il y a une chose pire que l’injustice que l’on rencontre, c’est celle qu’une personne que l’on aime rencontre, sans que l’on ne puisse rien y faire. J’ai mis tout mon respect dans ce pays ; je me suis habillée en couvrant mes jambes, mes épaules. J’ai eu soif pendant la journée durant le Ramadan pour ne pas offenser ceux qui le pratiquent, je n’ai rien dit quand les Égyptiens ont été lubriques et insistants, j’ai payé plus cher que ce que je devais, face à des taxis profiteurs. Mais si visiter un pays, c’est respecter sa culture, c’est aussi garder sa liberté et parler quand on veut faire entendre sa voix.
Et si on ne peut pas snoozer le muezzin, je ferai toujours tout à mon échelle pour ne pas snoozer nos libertés.
PS : On déménage de pays dans quelques semaines